Dollar Mambo

Dans un cabaret de Panama, on danse le mambo avec la ferveur de ceux qu'une extrême pauvreté rend viscéralement sensibles à tous les plaisirs gratuits : quelques bidons martelés, les corps s'animent. On y trouve aussi des magiciens, des acrobates, un ventriloque dont les histoires évoquent avec humour la difficulté d'être un homme sur cette terre. Les spectateurs sont les travailleurs du port : chômeurs, ouvriers, petits braqueurs qu'une lampe de supermarché suffit à fasciner. Ils se connaissent tous, avec leurs travers, leurs manies. Ils s'aiment, comme Jenny la danseuse et Roberto le voyou. Mais ce pays "sans histoire" n'est pas étranger à l'Histoire : des troupes étrangères y débarquent, pour y protéger des intérêts liés à la drogue et à la stratégie militaire. Le mambo, pur plaisir lié à la joie des corps et à l'érotisme gratuit, n'échappe pas à la main mise de l'étranger. Les danseuses, la danse, les artistes deviennent valeur marchande. Le spectacle doit délasser une bande de soudards en mal de conquête. Au bout des fusils, il n'y a que la mort.

Sans dialogue, sans exposé pédagogique mais uniquement par les gestes, les expressions des visages, la musique, Paul Leduc montre à l'oeuvre une logique d'anéantissement. Au-delà du fait historique de l'intervention américaine à Panama, au printemps 1990, il dénonce la chappe économique et culturelle imposée par les Etats-Unis sur l'Amérique latine et, plus généralement, le monde. Dollar Mambo referme la trilogie musicale inaugurée avec Barroco (1989) et Latino Bar (1990).