La Nuit du verre d'eau

Carlos Chahine, réalisateur :

« J’ai quitté le Liban en 1975, à cause de la guerre, sans avoir choisi. Pendant très longtemps j’ai cherché où était ma place. J’avais un sentiment de frustration permanente, jusqu’au jour où je suis retourné au Liban. J’ai redécouvert ma terre natale et j’ai compris que si je n’avais pas complètement trouvé ma place en France, c’était à cause de cette sensation d’exil qui bouillait en moi, et que je n’avais jamais identifiée auparavant. Je ne me rendais pas compte de la puissance de ce mot : exil. Seul le cinéma m’a permis de raconter cela, de délivrer ma version de ce que c’est que d’appartenir à une autre région du monde que celle où l’on vit.

Le titre du film vient de mon enfance que je pourrais résumer par « la nuit du verre d’eau », « ma nuit du verre d’eau », quand je pouvais appeler ma mère en pleine nuit et lui demander un verre d’eau. Ça vient de là : se souvenir de l’enfance dans cette région du monde, dans ce milieu chrétien. Bien que je sois complètement athée, je viens de là. La Nuit du verre d'eau est un rappel de ces univers ritualisés, cette société féodale libanaise, et tout ce qui en découle : la place des femmes, et la façon dont rien ne semble jamais changer.

Le titre arabe du film est « Terre d'illusion ». Les deux titres (français et arabe) appellent à un même bouleversement qui va bientôt s’opérer pour les héros du film. Avec mon collaborateur à l’écriture du scénario, Tristan Benoit, il s’agissait de décrire l’amour fou entre un enfant et sa mère avant peut-être l’émancipation inattendue de cette dernière. Ce petit garçon sent que le lendemain (de la nuit du verre d’eau), tout va changer. Pour lui, ne pas boire ce verre est sans doute une tentative pour conjurer le sort, de lancer à sa maman un appel désespéré : "ne m’abandonne pas." »