Babylon [critique] : Au cœur du Hollywood des années 1920

Après une tiède incursion sur le petit écran (The Eddy, 2020), Damien Chazelle retrouve les salles obscures avec un projet monstre : en un peu plus de trois heures, son Babylon sublime, puis épingle un Hollywood vertigineux, entre grandeur et décadence. Une réussite totale.
Los Angeles des années 1920. Alors que le cinéma hollywoodien est à la veille de son âge d'or, la Cité des Anges prend déjà des allures d'une nouvelle Babylone. Ses soirées mondaines sont faites de démesure et de dépravation sans limites. Sexe, alcool et drogues : toutes les outrances et tous les fantasmes sont permis. Se croisent alors les destins de têtes ambitieuses et de stars sur le déclin : Manuel Torres, un immigré mexicain, rêve de devenir un réalisateur ; Nellie LaRoy est une starlette ambitieuse, mais son comportement imprévisible inquiète son entourage ; vedette du cinéma muet, Jack Conrad se noie dans des soirées toujours plus folles...
À n'en pas douter, Babylon est un film-somme étourdissant aux allures de fresque sensorielle. Et ce, à juste titre : il fallait une mise en scène à la hauteur d'un tel sujet. Dès les premières minutes, le ton est donné. Voici le spectateur plongé dans une soirée orgiaque, sublimée par des images aussi époustouflantes qu'extravagantes, et rythmée par une musique imparable – comme toujours chez Damien Chazelle. On devine alors que la suite du programme continuera d'en mettre plein les yeux et les oreilles.
Quand la machine à rêves s'enraye...
La réussite de Babylon ne tient pas qu'à son enveloppe phénoménale ni à son casting tout aussi incroyable. Derrière les belles images, le réalisateur s'applique surtout à raconter une histoire charnière du cinéma : les dernières heures du cinéma muet. Suivant le parcours d'une multitude de personnages – principaux, mais aussi secondaires, tout aussi passionnants –, le récit-fleuve capte avec justesse l'euphorie et les craintes que cristallise cette mutation. Mais sans surprise, les bonnes choses ont une fin et la seconde partie du film donne à voir le revers de la médaille : l'heure est à une mélancolie et une désillusion inéluctables.
À un tout autre niveau de lecture, l'œuvre se fait aussi la critique grinçante de l'industrie cinématographique actuelle, dont la seule volonté est d'engendrer des profits, quels qu'en soient les sacrifices artistiques et éthiques. En dévoilant l'envers du décor, Damien Chazelle réaffirme un peu plus son amour – débordant et grisant – du 7e art. Comment bouder un tel hommage ?
Babylon, sortie le 18 janvier 2023 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
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