[critique] Chroniques de Téhéran : Neuf vies

Que ce soit par le choix du prénom de son enfant, la façon de se vêtir, ou la recherche d'emploi, c'est par l'absurde que les deux cinéastes développent cette idée pernicieuse du contrôle absolu de la population iranienne contemporaine.
Dans Chroniques de Téhéran d'Ali Asgari et Alireza Khatami, tout commence et tout se finit sur un plan de leur ville, la capitale de l'Iran. Majestueuse, troublante, c'est son territoire qui occupe tout l'écran. Pourtant c'est bien neuf portraits d'habitants et d'habitantes qui vont illustrer leur propos, celui d'une liberté bafouée par un pouvoir autoritaire et dictatorial qui contrôle chaque aspect de la vie quotidienne. Que ce soit par le choix du prénom de son enfant, la façon de se vêtir, ou la recherche d'emploi, c'est par l'absurde que les deux cinéastes développent cette idée pernicieuse du contrôle absolu de la population iranienne contemporaine.
Ces chroniques utilisent l'humour dans chaque situation pour « adoucir » la violence terrible qui se cache dans chaque portrait. On retrouve en filigrane l'obsession du contrôle du corps des femmes dès l'enfance, que ce soit dans la scène où l'on retrouve une petite fille dansant dans une boutique de prêt à porter, ou bien celle de la contravention pour oubli du port du hijab. Cette emprise se double d'une misogynie qui se diffuse par l'entremise d'un entretien d'embauche où le harcèlement sexuel de bas étage se déploie dans sa forme la plus crasse. Cette thématique se déplace dans une autre scène où une fois de plus l'interdit se mêle à l'abus de pouvoir, lors d'un examen d'obtention du permis de conduire. Cette simple procédure devient la réaffirmation du contrôle du corps d'un homme, ici tatoué, et la pression dont il fait l'objet par celui qui le contrôle à des fins qu'on devine sexuelles.
Le poing levé
Malgré tous ces constats terribles, on remarque qu'au-delà de l'humour omniprésent, les deux cinéastes ont écrit des personnages retors, qui ne s'en laissent pas compter, tenant une forme de rébellion face à ce pouvoir écrasant. Une jeune femme accusée de mauvaises mœurs retourne la situation à son avantage, la petite fille se remet à danser comme si rien ne s'était passé.
Chacun à leur manière ils exposent l'absurdité de ce pouvoir totalitaire, le combattant par la discussion, à l'image du tout premier portrait où un père se bat pour appeler son fils David, ce qu'on lui refuse. Sur une dizaine de minutes, un plan fixe, et un dialogue ininterrompu avec un fonctionnaire de l'État civil, il décortique avec beaucoup d'humour les contradictions de son opposant, jusqu'à le désarçonner. La grande vitalité de ce très joli film choral provoque enthousiasme et espoir grâce à une écriture fine et drôle.
Chroniques de Téhéran, sortie le 13 mars 2024 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
Partager cet article sur :
Nos derniers articles
Auteur de deux romans remarqués, Mourad Winter fait ses débuts de metteur en scène avec ce film aussi vif et drôle que grave et touchant.
Habitué aux sujets qui fâchent, le cinéaste Michel Leclerc s’attaque cette fois au mouvement #MeToo et à ses conséquences sur les rapports entre hommes et femmes.
Pour son premier long métrage, Mo Harawe brosse l’attachant portrait d’un enfant, de son père et de sa tante vivant ensemble dans un village du désert somalien, tout en posant un regard plein de douceur sur ce pays réputé violent, sans pour autant éluder la présence de la guerre qui rôde.
Avec ce long métrage consacré à Frantz Fanon, Jean-Claude Barny éclaire, de façon édifiante, l’itinéraire humain, psychologique et politique d’un des plus grands penseurs et militants anticolonialistes du XXᵉ siècle. Sous le biopic, un vibrant questionnement sur la liberté et la haine.