[critique] Hors-saison : Ils se sont aimés...
Après plusieurs films politiques sur le monde du travail, Stéphane Brizé délaisse le genre, ainsi que son acteur fétiche (Vincent Lindon), pour renouer avec le mélodrame. Sur fond d'escapade balnéaire, son nouveau film est plus subtil qu'il en a l'air.
Il s'appelle Mathieu ; elle s'appelle Alice. Ils se sont aimés, puis se sont soudainement séparés. Acteur populaire, Mathieu fuit Paris. Poussé par son épouse, il dilue son mal-être dans les bains à remous d'une thalasso. Professeure de piano, Alice s'est installée dans la cité balnéaire et mène une vie rangée auprès de son époux. Quinze années après leur rupture, ils se retrouvent, et n'ont pas d'autres choix que de regarder la vérité en face...
Hors-saison semble marquer une double rupture dans la filmographie de Stéphane Brizé. Non seulement le réalisateur délaisse le monde du travail, dont il s'était efforcé de dépeindre les dérives dans sa récente trilogie sociale (La Loi du marché, En guerre, Un autre monde), mais il impose ici d'autres nuances, tout en intériorité. Du cadre aseptisé jusqu'à la mise en scène placide, sans oublier la musique ronronnante, l'ensemble paraît atone. Mais ne vous fiez pas à cette impression : la force du récit se dévoile dans les interstices et les jointures de la banalité. Et c'est alors que le titre du film prend tout son sens.
Le spleen des nantis
Hors-saison n'a rien d'un conte d'été, ni d'une tragédie hivernale. Il prend plutôt l'allure d'une chronique automnale, dont le cœur n'est pas une révélation fracassante, mais une introspection douce-amère. Pour maintenir ce fil bien plus complexe qu'il n'y paraît, il faut pouvoir compter sur des interprétations solides. Ici, la tristesse naturelle de Guillaume Canet et l'insaisissable puissance d'Alba Rohrwacher forment une partition, certes, improbable sur le papier, mais d'une évidence folle à l'écran.
Régulièrement, le duo fait aussi preuve de drôlerie, jouant alors sur l'anxiété sociale de leurs personnages : contraint par sa célébrité, Mathieu se doit de paraître heureux, tandis qu'Alice troque les mondanités de son époux pour les pensionnaires d'une maison de retraite... Derrière la caméra, Brizé s'en amuse, mais n'oublie pas pour autant d'y insérer un sous-texte politique : bien que malheureux, ses protagonistes n'en demeurent pas moins des chanceux, car épargnés par les souffrances sociales. Tout en les observant avec tendresse, il rappelle que la mélancolie est bien souvent une affaire de privilégiés.
Hors-saison, sortie le 20 mars 2024 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
Partager cet article sur :
Nos derniers articles
Après avoir consacré un biopic à Johnny Cash (Walk the Line), James Mangold se penche, avec un talent égal, sur une autre figure de la musique populaire états-unienne, l'immense Bob Dylan.
La 30e édition des prix Lumières a eu lieu le 20 janvier 2025 au Forum des Images. Sacré dans les catégories Meilleur film, Meilleure mise en scène ou encore Meilleure actrice, Emilia Pérez de Jacques Audiard domine le palmarès.
Le film plonge dans l’intimité de trois hommes – un père et ses fils – soudés par leur affection mutuelle, mais déchirés par d’insurmontables désaccords politiques.
Ce deuxième long métrage d’animation en pâte à modeler de Adam Elliot est un pur chef-d’œuvre d’animation, abordant des thèmes difficiles (le deuil, la séparation…), qu’un humour corrosif et une tendresse infinie rendent bouleversants et lumineux.