[critique] La Partition de Matthias Glasner : Les enfants terribles

Cinéaste en quête d’intensité et de spontanéité, Matthias Glasner sait créer les conditions idéales pour que ses actrices et acteurs puissent déployer leur talent et leur sensibilité.
S’il est toujours question de la mort dans le film de Matthias Glasner, le titre français insiste plus sur la musicalité qui habite la vie des membres de la famille Lunies. Cette partition pourrait être celle du fils aîné, Tom, chef d’orchestre respecté dont les parents vieillissants ont toujours préféré leur fille cadette, Ellen. Celle-ci est quant à elle en proie à des comportements autodestructeurs qui ressemblent à une fuite permanente de toute responsabilité. C’est autant de facettes d’un trauma commun, à trois étapes de la vie et de la parentalité, que met en scène le réalisateur allemand, avec une férocité assez déconcertante.
Cinéaste en quête d’intensité et de spontanéité, Matthias Glasner sait créer les conditions idéales pour que ses actrices et acteurs puissent déployer leur talent et leur sensibilité. La liberté qu’il leur laisse pour travailler leur art est tout à fait étonnante. Le meilleur exemple est une scène de 24 minutes entre Lissy (joué par Corinna Harfouch) et son fils Tom (Lars Eidinger). Si la scène a une base écrite très fournie dans le scénario, le réalisateur l’abandonne pour laisser ces deux immenses interprètes se l’approprier et livrer une prestation proprement subjuguante.
Les aveux que se font cette mère et son fils sont d’une cruauté incroyable, mais dans un ton d’une justesse absolue. Tout le reste du récit est à l’image de cette scène, le drame s’épaississant de détails et de sous-intrigues pour former un gigantesque corpus de possibilités. Si cette histoire est horriblement sombre et dramatique, elle trouve néanmoins sa raison d’être et sa lumière dans la vibrante force vitale que les actrices et acteurs insufflent à leurs personnages. Ici encore cependant, comme dans d’autres films de Glasner, il faut bien comprendre qu’aucune situation ne peut trouver d’issue positive, le romantisme étant banni du cadre.
Un chaos jubilatoire
Tout le génie de cette mise en scène réside dans la façon dont le film se retourne en permanence sur lui-même, imprévisible, instable, faisant toujours la part belle aux acteurs, les mettant au centre du projet, dans un étonnement permanent. C’est une proposition passionnante et difficile que nous fait Matthias Glasner, exigeante, douloureuse, mais d’une qualité formelle et d’une finesse d’interprétation qui méritent toute notre attention et notre admiration.
La Partition, sortie le 4 septembre 2024 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
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