[critique] L’Abbé Pierre, une vie de combats : La part du saint, la part de l’homme

Il fut longtemps la « personnalité préférée des Français ». Et reste pour la postérité « la voix des sans-voix », l’infatigable défenseur des plus démunis. Mort en 2007, l’abbé Pierre se voit enfin consacrer un biopic à sa hauteur, qui embrasse toutes ses facettes et ses combats, éminents et nombreux.
« Je ne cesse de m’interroger sur le sens du mal, et la force de la vie. » Ces mots qu’on pourrait croire avoir été prononcés par l’abbé Pierre sont en fait du réalisateur Frédéric Tellier. Ils sont le fil directeur du film qui retrace les grandes étapes de la vie d’Henri Grouès, dit l’abbé Pierre. Des débuts en 1937, où le fils de bonne famille lyonnaise, qui a fait vœu de pauvreté, quitte l’ordre des capucins en raison de sa santé fragile ; à la fin, où l’abbé Pierre jette ses dernières forces dans la lutte pour les sans-abris. Entre les deux, il aura été soldat, mobilisé en 1940, résistant antinazi, avant d’être élu député au sortir de la guerre, puis d’initier la grande aventure des communautés Emmaüs dès 1949, marquée par l’appel de l’hiver 1954.
L’ombre et la lumière
En empruntant les multiples affluents de cette vie fleuve, Frédéric Tellier montre ainsi comment Henri est devenu l’abbé Pierre. D’un classicisme élégant, sa mise en scène ose aussi des parenthèses plus mystiques, qui évoque les questionnements intimes du héros. Le cinéaste relève le pari de l’exhaustivité pour cerner une personnalité complexe, mue par la colère, l’amour de son prochain, mais aussi, et peut-être surtout, par le doute. Car, et c’est la force du film, celui-ci n’est jamais hagiographique et n’élude pas la part d’ombre de l’abbé Pierre, son ego tempétueux, son goût pour la célébrité, son rapport au désir.
Comme pour ses précédents films (L’Affaire SK1, Sauver ou Périr, Goliath), tirés de faits réels, Tellier a mené un immense travail de documentation en amont. L’abbé Pierre partage avec ses précédents héros une part d’entêtement et d’idéalisme. Dans le rôle-titre, Benjamin Lavernhe restitue tant le talent de tribun et d’orateur de l’abbé Pierre, que sa personnalité si attachante. Capable, comme le dit lui-même le comédien « de foudroyer son auditoire », et de séduire tous les publics. À ses côtés, Emmanuelle Bercot est parfaite dans le rôle de Lucie Coutaz, secrétaire et confidente toujours restée dans l’ombre de « l’abbé vedette ». L’occasion de montrer que ce dernier savait s’entourer et n’aurait pas pu entreprendre une telle « œuvre » sans elle ni les autres compagnons.
L'Abbé Pierre - Une vie de combats, sortie le 8 novembre 2023 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
Partager cet article sur :
Nos derniers articles
En suivant le toréador Andrés Roca Rey et sa quadrille, Albert Serra signe un film aussi éprouvant que passionnant, au dispositif singulier et au positionnement éthique indécidable.
Le scénariste et réalisateur canadien Ken Scott (Starbuck, L'Extraordinaire Voyage du fakir) adapte le roman de l'avocat et animateur radio Roland Perez. Une comédie douce-amère, portée par une formidable Leïla Bekhti.
Avec ce thriller intimiste, Steven Soderbergh signe un nouvel exercice de style réjouissant et à la mise en scène ciselée.
Avec Mickey 17, Bong Joon-ho, le réalisateur de Parasite, se place à la croisée des genres : entre le cinéma de divertissement et la fable dystopique, son film interroge notre rapport au spectacle en formulant un monde où l'on gagne sa vie en la perdant.