[critique] Le Jeu de la reine : La femme, la cour et le tyran
Loin de son Brésil natal, le réalisateur Karim Aïnouz plonge dans l’Angleterre du XVIe siècle, à la cour du roi Henri VIII, pour faire le portrait de Catherine Parr, la sixième et dernière épouse du sanguinaire souverain. Cette reine méconnue, jamais représentée au cinéma, se révèle fascinante d’intelligence et de modernité.
Quand le roi n’est pas là, la reine ne danse pas. Elle règne sur une cour apaisée. Henri VIII parti à la guerre, il a en effet confié le royaume à sa dernière épouse, Catherine Parr, qui fait montre de son sens aigu des responsabilités. Celle qui n’a pas eu d’enfants est en outre une belle-mère aimante et aimée des héritiers, Edouard et Elizabeth, dont les mères sont mortes, malades ou décapitées.
Partisane de la réforme dans une Angleterre encore catholique, Catherine va devoir déployer ses talents de stratège pour éviter les pièges de la cour, et du clergé. Et une fois le roi revenu, survivre à la folie d’un époux malade et paranoïaque. Car le palais est un échiquier où chaque coup peut s’avérer fatal.
Insondable héroïne
Karim Aïnouz installe une atmosphère oppressante, où le moindre froissement de taffetas nous fait tressaillir. Son parti-pris naturaliste transforme ce qu’on aurait pu prendre pour un film d’époque en thriller psychologique. Pour son premier film en langue anglaise, le réalisateur brésilien explore la thématique qui lui est chère : celle de la condition féminine. Déjà au cœur de La Vie invisible d’Euridice Gusmao, sa précédente fiction, prix Un Certain Regard au Festival de Cannes 2019.
Devant son objectif, l’Angleterre des Tudor n’est en effet pas si loin du Rio des années 1950. Comme l’héroïne de son « mélo tropical », Catherine Parr se débat face à un système patriarcal. Même oppression, même combat. Comme Euridice, Catherine doit user de son corps pour servir sa cause, voire jouer sa survie. Elle est brillamment interprétée par Alicia Vikander qui, tout en étant de quasi tous les plans du film, maintient le mystère de son personnage, le visage traversé d’un insondable sourire à la Mona Lisa. Face à elle, Jude Law est méconnaissable et terrifiant en vieux roi imprévisible, obèse, au corps putride. Élevé par sa mère et sa grand-mère, le metteur en scène brésilien revendique sa sensibilité à ce « vécu du féminin ». Il s’est d’ailleurs entouré d'une équipe majoritairement féminine, au scénario, à la photo, au montage. À travers le portrait de Catherine Parr, il raconte finalement la naissance d’une nation.
Le Jeu de la reine, sortie le 27 mars 2024 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
Partager cet article sur :
Nos derniers articles
Ce deuxième long métrage d’animation en pâte à modeler de Adam Elliot est un pur chef-d’œuvre d’animation, abordant des thèmes difficiles (le deuil, la séparation…), qu’un humour corrosif et une tendresse infinie rendent bouleversants et lumineux.
Avec ce nouveau projet, Pedro Almodóvar offre une réflexion lumineuse sur le thème délicat du suicide assisté.
Bird marque le retour de la réalisatrice britannique Andrea Arnold à l’univers fictionnel, mais adjoint au réalisme qui l’a fait connaître une fantaisie surprenante, empreinte de délicatesse.
Après une incursion dans le folklore nordique (Northman), Robert Eggers s'attaque au mythe du vampire avec le remake du chef-d’œuvre de F.W. Murnau, sorti en 1922. Le réalisateur américain signe une relecture visuellement sublime et respectueuse de son matériau.