[critique] Limonov, la ballade : Portrait d'une tête brûlée

© Andrejs Strokins

Avec son nouveau film, Kirill Serebrennikov dresse, sur plusieurs décennies, le portrait d'un anti-héros à l'ampleur romanesque hors norme.

En adaptant l'ouvrage d'Emmanuel Carrère (qui fait d'ailleurs ici une brève apparition), Prix Renaudot en 2011, Kirill Serebrennikov s'empare de la vie de l'écrivain soviétique, puis apatride, puis français, puis russe (!), Édouard Limonov, décédé en 2020. Un dandy misanthrope dont le comportement successivement navre, déconcerte, séduit et fascine. Un histrion pétri de contradictions, tour à tour poète dissident et underground à Kharkov, marginal à New York, auteur branché à Paris, milicien pro-serbe en ex-Yougoslavie (on l'y verra notamment aux côtés du criminel de guerre Radovan Karadžić...), puis enfin, de retour en Russie, leader d'un parti d'extrême-droite. Il trouve, avec le Britannique Ben Wishaw, un interprète étonnant.

Mais à l'approche très documentée de Carrère, Serebrennikov préfère tisser une biographie en partie fantasmée et émaillée de clins d'œil cinéphiles – son New York 70's renvoyant ainsi, entre autres références, à celui du Taxi Driver de Martin Scorsese... Assumant par ailleurs la théâtralité de son approche, il n'hésite pas, avec une inventivité de chaque instant, à désigner l'artificialité de ses décors, voire à inscrire à même leurs cloisons le passage des années et des événements historiques, opérant ainsi de brusques sauts dans le temps.

L'Histoire est une farce tragique

Avec Leto, Serebrennikov avait, en 2018, fait sensation en dressant le tableau plein de vie, mais à l'horizon tragique, d'une jeunesse éprise de liberté et fascinée par l'Ouest, dans le Léningrad du début des années 1980. Avec Limonov, la ballade, également présenté au Festival de Cannes, il trouve l'occasion d'un survol, parcellaire mais vertigineux, de l'Histoire de ces cinquante dernières années. Mais aussi, à travers son anti-héros singulier, d'une évocation de son propre rapport, complexe et contrarié, à la Russie. Le cinéaste, en effet, qui a régulièrement manifesté son opposition au pouvoir en place, est lui-même en délicatesse avec son pays... L'Histoire est une farce tragique, nous dit-il, une fabrique de bourreaux et de victimes, mais aussi de figures aberrantes échappant, non pas à tout jugement moral, mais à tout schéma préconçu. Limonov fut-il, de son époque, le contre-poison ou le pur produit, le témoin ou le complice ? Serebrennikov nous en laisse seuls juges.

Limonov. La Ballade, sortie le 4 décembre 2024 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France

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