[critique] Madame de Sévigné : Femme moderne, mère obsessionnelle

© Julien Panié

Près de 13 ans après son premier long-métrage (Ma compagne de nuit), Isabelle Brochard renoue avec la fiction et propose une toute nouvelle lecture des Lettres de Madame de Sévigné.

Entre vulnérabilité et indocilité, Karin Viard et Ana Girardot s'imposent dans ce portrait en miroir, subtilement mis en scène.

Milieu du 17e siècle. La marquise de Sévigné élève sa fille, Françoise, à son image : une femme intelligente, radieuse et libre. Mais lorsque cette dernière s’attire les faveurs du roi, puis se marie à Monsieur de Grignan, la relation mère-fille prend une direction tourmentée, à mi-chemin entre l'amour inconditionnel et l'emprise dévorante. De ce ravage passionnel, Marie et Françoise ne sortiront pas indemnes...

Librement inspiré des Lettres de Madame de Sévigné, œuvre majeure de la littérature française, le nouveau film d'Isabelle Brochard embrasse d'abord les codes et les apparats du film d'époque, et ce, pour mieux s'en éloigner dans un second temps. Plutôt que de retranscrire sagement l'échange épistolaire, elle en sélectionne les moments-clés pour s'intéresser à la condition féminine de l'époque, et plus particulièrement, celle de la femme aristocrate. Non sans aplomb, Marie de Sévigné cultive l'indépendance, quitte à s'opposer aux mœurs du Grand Siècle. Mais le destin compromis de Françoise va peu à peu révéler une faille : son incapacité à questionner ses convictions.

La grandeur et l'ombre d'une mère

Loin de désavouer l'esprit féministe de son héroïne, le film en interroge tout de même les contradictions : Marie ne peut concevoir que sa fille puisse avoir d’autres aspirations qu’elle. Séparée d'elle, elle se trouve même rongée par la solitude. C'est alors qu'éclot l'écrivaine : maniant le verbe et le lyrisme avec talent, Marie tente de raisonner Françoise. Mais tels des coups de poignard dans son cœur, les lettres de cette dernière viennent sceller la discorde : aux antipodes de l'idéal émancipateur rêvé par sa procréatrice, la jeune femme a à cœur d'assumer son rôle d'épouse.

Avec beaucoup de clairvoyance, et un goût certain pour la dramaturgie, la réalisatrice déconstruit ce rapport mère-fille en deux temps : en premier lieu, dans ce qu'il a de fondateur, puis dans ce qu'il a d’insidieusement destructeur. Admirablement interprétés par Karin Viard et Ana Girardot, les personnages sont alors au service d'un propos d'une étonnante modernité : quelle que soit sa forme, ou peu importe son mode d'expression, la liberté n'est qu'illusoire.

Madame de Sévigné, sortie le 28 février 2024 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France

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