[critique] May December : Jusqu’ici tout va bien ?
Todd Haynes pointe sa caméra-microscope sur une famille dont le bonheur apparent pourrait bien cacher une vertigineuse complexité… Déstabilisant et fascinant.
Présenté en compétition lors du dernier festival de Cannes, le nouveau long-métrage de Todd Haynes renoue avec une des obsessions du cinéaste : ausculter la texture du quotidien, et attraper au vol ce qu’elle laisse entrevoir d’une autre réalité, palpitant juste en-dessous. Dans May December, le metteur en scène pointe sa caméra-microscope sur une famille dont le bonheur apparent pourrait bien cacher une vertigineuse complexité… Déstabilisant et fascinant.
Une actrice nommée Elizabeth (Natalie Portman) se rend pour quelques jours dans une petite ville du sud des États-Unis afin de rencontrer Gracie (Julianne Moore), qu’elle va bientôt incarner dans un film consacré à la vie de cette dernière. Des années après le scandale qui bouleversa son existence, Gracie semble couler des jours paisibles avec son mari et ses enfants bientôt diplômés. Mais Elizabeth sent bien que les apparences sont trompeuses...
De cet argument presque chabrolien, Todd Haynes tire un étonnant mélange de comédie noire et de thriller psychologique. Détournant subtilement son film des rails où nous pourrions l’attendre, Todd Haynes nous plonge dans une sorte de labyrinthe lumineux, de marécage de coton. Très vite, on ne sait plus quoi penser, ce qui n’arrive finalement pas si souvent au cinéma !
Un joyau noir dans un écrin éblouissant
Faisant, une fois n’est pas coutume, des infidélités à son chef opérateur habituel Edward Lachman, le cinéaste travaille cette fois avec Christopher Blauvelt, qui signa entre autres la photographie des films de Kelly Reichardt. La lumière de May December a quelque chose de magique, de vénéneux, elle est comme une voix secrète qui nous mettrait en garde : attention, il y a une histoire derrière l’histoire, il y a des ombres mouvantes, des jaillissements de cruauté, de folie…
De l’intrigue, il faut dire le moins possible. Qu’on imagine simplement Julianne Moore et Natalie Portman au sommet de leur art, dans un face à face aussi subtil qu’inquiétant. Qu’on imagine aussi un drame particulièrement perturbant, dont les tenants et aboutissants ne cessent de nous échapper… Dans tel acte, telle parole, faut-il voir de la candeur ou de la perversité ? Que croire, que penser ? Chacun-e se fera son idée, et sortira probablement secoué de cette plongée dans un univers aussi lisse que toxique, où grouillent les plus terribles non-dits.
May December, sortie le 24 janvier 2024 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
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