[critique] Première Affaire : Un âpre baptême de l’air
Première affaire s’attaque à la question passionnante des considérations morales qui animent une avocate débutante, et de la candeur dont elle doit nécessairement se défaire pour se tailler une place dans ce monde brutal.
Révélée par Ava (2017), premier long-métrage de Léa Mysius, Noée Abita a depuis confirmé son talent dans des films comme Slalom (2020) et Les Passagers de la nuit (2022). On la retrouve ici en jeune avocate précipitée dans sa première affaire pénale et confrontée à la froide réalité du milieu judiciaire. Charlotte Gainsbourg la comparait déjà à un petit oiseau dans le film de Mikhaël Hers : Victoria Musiedlak file la métaphore dans ce récit initiatique accompagnant avec sensibilité l’envol de sa jeune héroïne.
Avec ses grands yeux candides et sa silhouette menue, Nora a tout de l’oisillon tombé du nid. Alors qu’elle rentre de soirée au petit matin, la jeune femme reçoit un appel de son patron qui la somme de partir sur-le-champ pour prendre en charge une garde à vue à Arras. Or, Nora ne s’est encore jamais trouvée dans cette situation, d’autant que le client, d’abord entendu pour enlèvement et séquestration, est rapidement accusé d’homicide volontaire.
Collaboratrice au sein d’un cabinet spécialisé dans les affaires, l’avocate novice n’a guère l’habitude d’intervenir pour des faits aussi graves. Elle se lance néanmoins, exaltée par l’intensité électrique de cette expérience, que la mise en scène révèle dans toute sa physicalité : Musiedlak rend palpable l’inconfort de la jeune femme, en manque de sommeil, prise de haut-le-cœur dans sa robe de soirée. Nora se passionne pour ce dossier, qu’elle demande à suivre, malgré la réticence de son patron, campé par un François Morel à contre-emploi, réjouissant de cynisme nonchalant.
Voler de ses propres ailes : un essor douloureux et galvanisant
Aveuglée par l’enthousiasme, Nora met toute sa fougue dans la gestion de cette affaire, protestant de sa voix flûtée contre le traitement subi par son client, qu’elle croit accusé à tort. Sa ferveur attire l’attention amusée du policier chargé de l’interrogatoire (Anders Danielsen Lie), dont elle se rapproche plus qu’elle ne devrait. Première affaire s’attaque à la question passionnante des considérations morales qui animent une avocate débutante, et de la candeur dont elle doit nécessairement se défaire pour se tailler une place dans ce monde brutal. Nora erre, s’égare, trébuche parfois, mais gagne en assurance ce qu’elle perd en illusions, évolution qui se traduit par une réelle métamorphose dans sa contenance. Dessillée, elle prendra son essor dans la vie adulte et embrassera le pragmatisme de sa profession jusqu’à faire sienne cette maxime : seule compte la vérité du client.
Première affaire, sortie le 24 avril 2024 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
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