[critique] Sons : Morale en eaux troubles
Suite au succès critique de son premier long métrage The Guilty, Gustav Möller confirme avec Sons son aisance dans le genre du thriller psychologique en huis clos, patiné ici de drame carcéral sombre et équivoque.
Gardienne au sein d’un centre pénitentiaire, Eva s’implique au quotidien auprès des prisonniers, notamment par le biais d’ateliers qu’elle anime. Mais tout dérape à l’arrivée d’un détenu, Mikkel, transféré dans l’unité où sont surveillés les prisonniers les plus dangereux. Du jour au lendemain, le jeune homme fait voler en éclat son éthique professionnelle en ravivant un passé qu’elle avait essayé tant bien que mal d’oublier...
Suite au succès critique de son premier long métrage The Guilty, Gustav Möller confirme avec Sons son aisance dans le genre du thriller psychologique en huis clos, patiné ici de drame carcéral sombre et équivoque. D’employée exemplaire et rigoureuse, voire maternelle dans l’attention qu’elle porte aux prisonniers dont elle a la charge, Eva se transforme en anti-héroïne de plus en plus cruelle à l’égard de Mikkel, soudainement animée de pulsions qui la dépassent, sans que le réalisateur danois ne se départisse pour autant d’une certaine empathie à son endroit.
Car le film ne fait pas longtemps mystère des raisons qui la poussent à déborder de son rôle : quelques années plus tôt, Mikkel a tué son fils alors qu’ils étaient codétenus, un deuil doublé d’une culpabilité inconsolable pour Eva puisqu’elle garde le sentiment de l’avoir abandonné. Le tour de force du film est de déjouer des rapports de force a priori indéboulonnables en faisant de la relation entre Eva et Mikkel un miroir déformant, où les rôles du bourreau et de la victime se brouillent et s’inversent constamment. Grâce à ce personnage de mère endeuillée, et vis à vis de laquelle on supposerait une impartialité irréprochable au vu de ses fonctions, le film articule d’autant mieux ses questions relatives à la justice : quelle peut être la valeur réparatrice d’une condamnation pénale pour les proches des victimes ? Peut-elle suppléer la volonté de faire justice soi-même ?
La culpabilité comme dette impayable
Sur ce point, Sons n’est pas sans rappeler Prisoners de Denis Villeneuve en ce qu’il explore les points aveugles de la conscience morale d’Eva, laquelle semble considérer ce désir de vengeance comme un droit qui lui serait dû. Cependant, celui-ci est inévitablement corollaire d’une forme d’insatiabilité, une rédemption dont les portes restent à jamais fermées, entravées. Faisant le choix de n’apporter aucune réponse claire aux réflexions qu’il dissémine, ni même de conclusion morale pour chacun de ses personnages, Sons est vertigineux dans son irrésolution désespérée.
Sons, sortie le 10 juillet 2024 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
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