Jeanne Dielman [critique] : Qui a peur du « plus grand film de tous les temps » ?

Suite à sa récente intronisation au sommet de la prestigieuse liste des 100 plus grands films de tous les temps par une revue de référence, ce film fascinant, splendide et percutant ressort dans une somptueuse version restaurée.
Une belle occasion pour les amateurs de grand cinéma de se faire leur propre opinion sur une œuvre à la fois mythique et méconnue…
Jeanne Dielman est une œuvre absolument unique, qui ne ressemble sans doute à rien de ce qu’une très grande partie du public a déjà pu voir au cinéma. Ce long-métrage, qui désarçonna plus d’un spectateur lors de sa sortie en 1976, est tout entier dédié à montrer en détails le quotidien d’une femme au foyer, incarnée par la grande Delphine Seyrig. Nombreux furent ceux qui, à l’époque, ne comprirent pas l’intérêt d’un tel projet. Il en reste d’ailleurs aujourd’hui quelques-uns pour pester contre ce film qui ne raconterait rien, si ce n’est des banalités.
La vie concrète de milliards de personnes vivant partout sur la planète serait donc sans intérêt ? C’est bien cet a priori, au fond extrêmement violent, que Chantal Akerman a voulu combattre. Réveiller son fils, faire les courses, éplucher les patates… Autant de gestes quasi automatiques répétés chaque jour par l’héroïne, à l’instar d’un nombre incalculable de femmes depuis des siècles. « J’ai fait ce film pour donner une existence cinématographique à ces gestes » dit un jour la cinéaste.
Une œuvre majeure à la mise en scène stupéfiante
Mais au-delà de sa dimension politique, ce film est aussi une expérience esthétique absolument extraordinaire. La subtilité avec laquelle la réalisatrice introduit mille et une variations dans ce qui pourrait ne sembler que répétitif est tout bonnement magistrale. De même pour la façon dont elle fait naître le trouble et l’inquiétude dans ce quotidien bien réglé…
Si le film paraît d’abord très réaliste, il est en fait porteur d’une étrangeté de plus en plus palpable à mesure que se déroulent les quelques jours du récit. Jusqu’à une séquence finale subjuguante qui vient questionner tout ce que nous venons de voir, et même tout ce que nous croyons savoir de la condition féminine. Gageons que les curieux qui tenteront la découverte de cette œuvre passionnante la verront aujourd’hui pour ce qu’elle est : un très grand film de cinéma.
Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, sortie le 19 avril 2023 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
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