La Grande Magie [critique] : Le spectacle, antidote contre le temps

© Jean-Claude Lother

Pour son septième long métrage, la déjà multi récompensée Noémie Lvovsky trousse une comédie (musicale) à la légèreté trompeuse qui interroge avec finesse notre rapport au temps qui érode, surtout en amour, et notre besoin de nous illusionner pour nous en consoler.

Durant les années 1920, Marta, épouse aisée mais étouffée par un mari jaloux, disparaît lors d’un tour de magie donné au cours d’un spectacle dans les jardins d’un hôtel du bord de mer. Cette fugue va amener Charles, son mari, à se remettre en cause. Pour se rattraper de sa complicité involontaire, Albert, le magicien, entreprend de l’aider jusqu’à lui faire perdre la notion de réalité. Mélangeant les genres avec bonheur, un hommage au spectacle, notamment à la fiction, alerte, malin et intelligent pour surmonter l’âpre réalité du monde.

Un rappel judicieux et ludique, au fait que l’illusion marche seulement si on y croit

Avec sa fugue, qui rappelle celle d’Agatha Christie du 3 au 14 décembre 1926 pour les mêmes raisons d’ordre conjugal, ses « cantates » malicieusement mises en musique par Feu ! Chatterton et ses variations autour du vrai et du mensonge, la réalisatrice de Camille Redouble (2012), déjà multi récompensée, compose, pour son septième long métrage, un film partition qui ose tout et c’est pur bonheur.

Les dialogues sont savoureux jusqu’à l’absurde, la mise en scène aérienne, le jeu avec la vitesse des prises de vue drolatique tandis que les lumières et les ombres créent des atmosphères variant de Renoir à Rembrandt. Mais qu’on ne s’y trompe guère ! Sous la légèreté, se cache une fable tragique sur le dilemme de tout être humain tiraillé entre l’illusion qui rassure et la réalité qui corrode. Notamment en amour.

Dès lors, la comédie mélangeant suspense, romance, burlesque… dévoile un discours profond, clair et édifiant opposant monde idéal (Platon) et tangible (Aristote) dans lequel la joie de Jacques Demy le cède au dramatique de Charles Trenet dont beaucoup de chansons enjouées sont in fine tristes, à commencer par Je chante avec son pendu.

« Ils ne peuvent pas se faire d’illusion, ils n’ont pas d’imagination » dit ainsi Albert à Charles en parlant de ses oiseaux. Il en résulte un magnifique hommage au rôle résilient de la fiction, confortant le célèbre aphorisme de Nietzsche : l’Art nous a été donné pour ne pas mourir de la vérité. Film en abyme, La Grande Magie se savoure donc sur plusieurs niveaux de lecture et prouve que le divertissement n’est pas ennemi de la réflexion.

La Grande Magie Noémie Lvovsky, sortie le 8 février 2023 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France

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