[critique] La Prisonnière de Bordeaux : Relâche dans la lutte des classes

Alma, seule dans sa grande maison de Bordeaux, invite Mina, jeune mère d'un milieu modeste rencontrée au parloir d'une prison, à s'installer chez elle. Patricia Mazuy convainc dans son observation placide d'une relation transcendant les classes, qui ne cède (presque) rien aux archétypes.
Depuis trois films, le cinéma de Patricia Mazuy s'acoquine avec le genre. L'ombre de l'affaire Xavier Dupont de Ligonnès planait sur Paul Sanchez est revenu ! (2018), où elle tenait lieu de catalyseur pour chroniquer l'hystérie collective qui s'emparait d'une localité du Sud, et le désir de fiction qui y gagnait des personnages. Bowling Saturne (2023) glissait des motifs de film noir dans une tragédie familiale doublée d'une méditation sur la transmission de la violence masculine... Ici encore, et autour de ce qui constitue le cœur du récit (la rencontre entre deux femmes qu'a priori tout oppose), des éléments de genre sont convoqués, mais ils relèvent pour l'essentiel de l'utilité narrative. Il fallait bien, comprend-on, que quelque chose (en l'espèce, une histoire de montres volées) trouble la quiétude de cette relation-là, l'utopie à laquelle elle avait donné lieu...
Une étude sociologique
C'est donc d'abord sur le terrain sociologique, celui d'une étude matérialiste des rapports de classe, qu'il faudra s'attacher à traquer la singularité du film. On pourra ainsi s'amuser à deviner quelles ont pu être les contributions de François Bégaudeau, co-scénariste, à l'écriture des dialogues, dans la caractérisation des personnages, leurs réflexes de classe (« moi, je regarde pas ce qui est moche », dit la bourgeoise à la prolo), le vocabulaire qui est le leur et ce qu'il dissimule. Car, s'ils ne sont jamais réduits à leurs coordonnées sociales (quelle que soit l'écriture des rôles qu'interprète Hafsia Herzi, quelque chose, dans son jeu, se refuse à s'y voir résumée ; voir Isabelle Huppert manger une pâtisserie, c'est déjà être témoin de l'intrusion d'un corps étranger dans le cadre), les personnages n'en sont pas moins des produits de leur classe. Ce que polarisera, d'une façon certes un peu démonstrative, la question de l'appréciation esthétique des tableaux de la maison. Par bonheur, Mazuy se distingue par ailleurs par des choix forts de récit et de mise en scène, ainsi que par un flirt bienvenu avec un matériau naturaliste – en premier lieu l'attention portée, le temps d'une scène, à la parole des visiteuses de prison.
La Prisonnière de Bordeaux, sortie le 28 août 2024 : toutes les séances à Paris et en Île-de-France
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