Au scalpel au Théâtre des Variétés [critique] : faut que ça saigne…

Bruno Salomone et Davy Sardou © Stéphane Parphot

Antoine Rault a ciselé une partition à deux voix dont s’emparent Davy Sardou et Bruno Salomone. Avec un solide talent et une complicité scénique évidente, les deux comédiens explorent les affres de la fratrie.

« Faire vrai doit consister à donner l'illusion complète du vrai », dit Maupassant dans la préface de Pierre et Jean, où il expose les principes de son écriture. Le texte d’Antoine Rault et la mise en scène de Thierry Harcourt obéissent aux mêmes règles. Dans le décor réaliste imaginé par Emmanuelle Favre (l’intérieur épuré et confortable d’un chirurgien reconnu), deux frères se déchirent toute une nuit, sans que l’amour, l’humour ou le pardon ne parviennent à calmer la douleur des détestations recuites. Davy Sardou et Bruno Salomone donnent l’illusion complète du vrai, comme si l’on assistait, terrifié et impuissant, à un conflit véritable.

Partage de minuit

L’intrigue rend aussi un subtil hommage au roman de Maupassant. On retrouve les mêmes thèmes de l’hérédité et de l’héritage, de la légitimité et de l’illégitimité, de la préférence et de la jalousie. Dans la pièce, l’un des deux frères est médecin (Bruno Salomone), l’autre est photographe (Davy Sardou), le succès social du premier ravale le second au rang de trublion attachant et agaçant. Le monde ordonné du notable sérieux et austère vole bientôt en éclats, quand ressurgissent rivalités amoureuses, doute et dépit filiaux. Antoine Rault a la finesse de ne pas caricaturer ses figures : les deux frères ont beau surenchérir dans l’abjection et les coups bas, on ne parvient pas à trancher pour savoir lequel des deux mérite le scalpel…

Qui est Caïn ?

Davy Sardou confirme son talent théâtral. Il parvient à rendre la légèreté inquiétante, le cynisme poignant, l’insolence attendrissante. Bruno Salomone, plus retenu parce que son rôle est plus grave, excelle en bourgeois tragique et en bourreau faussement innocent. La perversité des deux frères apparaît progressivement, les caractères se découvrent à mesure que le conflit s’intensifie, et l’on se dit, encore une fois, qu’il faut être tordu comme seul Dieu sait l’être pour croire que l’on peut être le gardien de son frère.

Au scalpel au Théâtre des Variétés, du 30 septembre au 30 décembre 2022 : réservez vos places avec L'Officiel des spectacles

Partager cet article sur :

Nos derniers articles

Maxence Gaillard s’installe brillamment au Lucernaire avec la pièce imaginée par Stéphane Landowski autour de la guerre des courants, qui marqua les débuts de la maîtrise de l’électricité.

Après le verger sous les étoiles de Fontaine-Guérin, où a été créée la trilogie à l’été 2024, le NTP propose une divine comédie avec Balzac en nocher, à l’intérieur du théâtre de La Tempête.

Victor Rossi reprend avec Matthew Luret la pièce qu’il a écrite et créée avec Antoine Demor. Un petit bijou théâtral, fin, vif et incisif, d’une grande intelligence et d’une implacable lucidité. Glaçant !

Au Théâtre Saint-Georges, Clément Viktorovitch, seul en scène, libère du temps de cerveau disponible en déjouant la confusion entre les vessies et les lanternes. Rallumons les lumières !

La newsletter

Chaque mercredi, le meilleur des sorties culturelles à Paris avec L'Officiel des spectacles !