Barbe bleue [critique] : Quand l’esprit vient aux filles…
Frédérique Lazarini adapte et met en scène le roman d’Amélie Nothomb avec une verve savoureuse et une belle maîtrise scénique. Un spectacle amusant et captivant, servi par quatre excellents comédiens.
Don Elemirio Nibal y Milcar, haute piété et haute noblesse, est un chromophile maniaque à la recherche du jaune. Après avoir collectionné toutes les couleurs du spectre, il attend celle qui pourra parachever son œuvre. Pour la trouver, il passe une annonce offrant la jouissance quasi gratuite de son immense hôtel particulier. La pétulante Saturnine est choisie, mais apprend que les huit précédentes colocataires ont disparu. Contrairement à la Barbe bleue de la fable, Don Elemirio avoue rapidement ses crimes. S’engage alors un passionnant duel entre la belle et la bête, émaillé de disputes désopilantes sur l’ordalie, les paupiettes et les différents champagnes.
Démons et merveilles
On sait la fantaisie et l’humour d’Amélie Nothomb : Frédérique Lazarini imagine une mise en scène tout aussi spirituelle, à grands renforts d’effets magiques et d’accessoires amusants. Les costumes de Dominique Bourde et Isabelle Pasquier, la vidéo d’Hugo Givort, la création sonore de François Peyrony, la scénographie et les lumières de François Cabanat : tout concourt à créer un spectacle fascinant, qui va de surprise en surprise, mêlant adroitement suspens et humour. L’équilibre est parfaitement tenu entre la blague enfantine et la gravité des débats sur la nature de l’amour, les comédiens faisant preuve d’une chatoyante palette de jeu.
Victoire de la poupée sur l’ours
Pierre Forest est à la fois inquiétant et touchant en aristocrate misanthrope et esthète, Lola Zidi est charmante et charismatique en vamp féministe, Cédric Colas est désopilant en majordome-chauffeur-percussionniste et Helen Ley hilarante en Corinne, le repoussoir gentiment niais de sa copine pourfendeuse du patriarcat. A l’instar d’Amélie Nothomb, Frédérique Lazarini réussit brillamment à marier la légèreté et le drame dans ce conte où la vérité l’emporte sur l’amour, refusant les petits arrangements de la soumission et la compromission de la pitié. Les filles sages finissent toujours dans le réfrigérateur de l’ogre : les filles intelligentes apprennent à fermer la porte.
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