Cabaret [critique] : Le ventre est encore fécond d'où a surgi la bête immonde.

Robert Carsen met en scène, avec la maestria qu’on lui connaît, le spectacle qui inaugure le nouveau Lido. Une soirée terrible, où la joie de la fête se mêle à l’angoisse de l’alarme politique.
On pourrait croire que Cabaret est devenu une œuvre intemporelle, au regard de ses succès sur scène et au cinéma. Pourtant, ce spectacle ne produit pas le même effet aujourd’hui qu’au moment de sa création. A l’heure où le populisme gagne les esprits et où le fascisme renaît dans bien des pays, Cabaret fait désormais peur. Le montage d’images qui clôt le spectacle est implacable : l’émétique aujourd’hui a le goût des années 30, le ventre d’où a surgi la bête est à nouveau fécond.
Craintes
Tout concourt à renforcer cette impression. D’abord, Carsen indique subtilement que la montée du fascisme commence toujours à bas bruit : le brassard nazi découvert par hasard sous le manteau de la prostituée qu’on trouvait jusqu’alors sympathique, le bruit ténu de la vitrine brisée qui annonce la nuit de Cristal, la veulerie presque compréhensible de la logeuse qui préfère ne pas épouser le gentil épicier, un peu trop juif pour faire un bon mari. Ensuite, parce que la salle du Lido, où le spectateur est installé comme on l’est au cabaret, le conduit à comprendre qu’assister sans broncher, c’est déjà collaborer.
Tremblements
Les personnages du Kit Kat Club sont croqués avec délicatesse. Lizzy Connolly est une Sally Bowles bouleversante de fragilité. Olivier Dench (l’écrivain) et Gary Milner (l’épicier) offrent à leurs rôles une douceur qui fait haïr encore plus la force qui les broie, d’autant que Ciaran Owens (le nazi) l’interprète sans les excès qui font détester d’emblée les méchants. Sally Ann Triplett (la logeuse) et Charlie Martin (la putain) sont humaines, désespérément humaines. Quant à Sam Buttery, inquiétant et poignant Emcee, il suggère, par sa candeur de freak, qu’il n’y a qu’un pas de la scène au charnier, ce dont les artistes du Berlin des années 30 firent l’amère expérience. Il est rare de voir l’intelligence artistique mise aussi finement au service d’une idée. Avec ce spectacle, Robert Carsen et Jean-Luc Choplin posent un acte politique courageux qui est à saluer.
Cabaret au Lido 2 Paris : réservez vos places avec L'Officiel des spectacles
Partager cet article sur :
Nos derniers articles
Fondatrice du Théâtre La Flèche, Flavie Fontaine dirige avec passion cette mine à pépites, tremplin pour les compagnies émergentes, encourageant un théâtre poignant, authentique et juste. Entretien.
Fabien Gorgeart met en scène un brillantissime trio dans l’adaptation scénique du roman de Delphine de Vigan. Nouvelle pépite au Petit Saint-Martin : un spectacle bouleversant et passionnant.
En mars 2025, Peter Brook aurait eu cent ans. Le Théâtre des Bouffes du Nord, qui fut le sien pendant un demi-siècle, reprend son dernier spectacle. Hommage au maître, au théâtre et à la liberté.
Toutes les informations sur la 36ᵉ cérémonie des Molières, récompensant les spectacles et artistes les plus remarquables de l'année écoulée au sein des théâtres français.