[critique] Hamlet : Electre au Danemark

Artiste associée à l’Odéon-Théâtre de l’Europe depuis 2016, Christiane Jatahy met en scène son adaptation d’Hamlet : une lecture disruptive, des comédiens survoltés, un spectacle tourbillonnant.
Hamlet traîne sa dégaine d’adolescente attardée dans un loft luxueux où elle vit avec Maman et Tonton. Tonton a tué Papa et s’en repend, alors qu’il est assis sur le trône des cabinets. Hamlet se fait cuire une omelette en dansant comme une diablesse, et sadise Ophélie qu’elle ne parvient pas à aimer, faute d’avoir préalablement coupé le cordon. Puisqu’on ne peut jouer Hamlet sans casser des œufs, Christiane Jatahy propose une adaptation décapante de la pièce de Shakespeare. Jules Laforgue avait déjà déconstruit le mythe avec drôlerie et distance ; Christiane Jatahy le fait avec la solennité morale qui plaît à notre époque.
Prouesse technique
Une somptueuse scénographie mêle l’espace mental d’Hamlet (ses souvenirs, ses fantasmes et ses visions) et la réalité concrète d’une famille recomposée, dont tous les membres ont à peu près le même âge. Aux projections en fond de scène et sur le tulle du quatrième mur, s’ajoutent celles des vidéos tournées en direct. Comme dans notre quotidien surmédiatisé, rien n’échappe à la folie panoptique d’Hamlet, dont l’hypermnésie tourne au ressentiment. Clotilde Hesme incarne la princesse danoise avec une farouche vitalité, transformant l’orphelin vengeur en metteuse en scène hystérique de la thérapie familiale.
Renversement féministe
Isabel Abreu (Ophélie), Tom Adjibi et David Houri (Guildenstern et Rosencrantz), Servane Ducorps (Gertrude), Tonan Quito (Polonius) et Matthieu Sampeur (Claudius) complètent la distribution en chair et en os ; le fantôme du père est incarné par Loïc Corbery à l’écran. L’osmose entre théâtre et cinéma est d’une remarquable précision : la scène inaugurale du mariage maudit entre la veuve félonne et le frère assassin est une merveille de maîtrise technique. L’objet artistique né de cette alliance entre les arts de l’image est éblouissant. Ce théâtre à regarder se veut aussi théâtre à penser et Christiane Jatahy, en féminisant Hamlet, entend débusquer la violence du patriarcat : au spectateur de trouver les clés de son renversement.
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