[critique] Ici sont les dragons : Le Soleil a rendez-vous avec l’Histoire

© Lucile Cocito – Archives Théâtre du Soleil

Le Théâtre du Soleil présente le premier volet de sa nouvelle geste collective. Entre bourbier de la guerre et charnier des révolutions, la scène mythique de la Cartoucherie devient celle du XXe siècle.

Dirigée par Ariane Mnouchkine en harmonie avec Hélène Cixous, la nouvelle création du Théâtre du Soleil marque la soixantième année d’existence de cette utopie théâtrale installée au cœur du bois de Vincennes. L’ancienne manufacture de munitions semble retrouver son usage originel : le Théâtre du Soleil met en effet en scène les combats et les conflits militaires et politiques qui ont fait du XXe siècle le long et douloureux parcours d’extermination des races et des classes, du massacre et de la nuit, de la hache et du harpon et de l’épouvante cramponnée aux crins des chevaux.

Le souffle de la terreur

Ici sont les Dragons se veut « un grand spectacle populaire inspiré par des faits réels, en plusieurs époques ». La première commence en 1917. À L’Ouest, rien de nouveau puisqu’on continue à s’entretuer pour écouler la mitraille depuis l’été 1914 ; à l’Est, en revanche, le soviet de Petrograd fait vaciller la vieille Russie. Elle s’abat comme les cerisiers, sous les coups des révolutionnaires qui s’emparent du pouvoir et débattent à n’en plus finir de la manière de liquider la liberté. Les comédiens portent les masques de Lénine, Kamenev, Staline, Trotski, Makhno et consorts. Ils jouent en playback et semblent comme des enfants, petits corps et grosses têtes, jouets imbéciles d’une farce grotesque qu’on appelle l’Histoire.

L’Histoire et sa grande hache

Trois femmes hantent la pièce. Parques ou Erinyes, elles rappellent que la haine, la vengeance et la mort scandent l’existence des peuples qui confient leur sort aux monstres tyranniques nourris par la servitude volontaire. Les décors se succèdent avec la vélocité technique dont la troupe du Soleil fait toujours montre ; les costumes et les accessoires sont magnifiques, l’infiniment petit et l’immensément grand se répondent pour une démonstration panoptique des horreurs nées de la soif inextinguible de supprimer les autres. La troupe du Soleil réussit avec ce spectacle une belle leçon d’histoire et de théâtre.

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