[critique] La Mouette : Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà, de ta jeunesse ?

Stéphane Braunschweig quitte la direction de l’Odéon avec une belle et émouvante mise en scène de La Mouette, tendant un implacable miroir à notre époque qui sacrifie sa jeunesse et s’en moque.
Stéphane Braunschweig met en scène comme Tchekhov écrivait : « Je mène l’acte tout tranquillement et doucement, mais à la fin, pan dans la gueule du spectateur ! » Après une première version créée il y a presque un quart de siècle, le directeur de l’Odéon y termine son mandat en revenant à cette pièce dans laquelle meurt le poète, faute d’être entendu et aimé. Avec ce spectacle, Stéphane Braunschweig offre à la salle de réfléchir à la manière dont les jouisseurs autolâtres et castrateurs que nous sommes traitent leurs enfants. L’effet est saisissant.
Fils de Médée
La grande actrice Arkadina joue les estivantes dans la propriété familiale ; elle se repose en compagnie de Trigorine, son brillant amant, écrivain à succès. Sa renommée et sa réussite se nourrissent des repoussoirs dont elle s’entoure habilement : son frère, fonctionnaire retiré et homme raté, son fils, poète maudit taraudé par les affres du génie, et tous ceux qu’elle accueille parce qu’ils ne l’éclipsent pas. Deux mondes s’affrontent : celui des aînés, à l’abri de leur gloire ou de leur renoncement, de leur cynisme ou de leur paresse, de leur plainte ou de leur lâcheté, et celui des plus jeunes, qui rêvent d’amour et de succès et n’obtiendront ni l’un ni l’autre.
Enfants de Saturne
Les comédiens servent magistralement la précise traduction de Françoise Morvan et André Markowicz. La scénographie offre à l’œuvre imaginée par Treplev d’occuper tout le plateau. Le théâtre devient le ciel immense de sa passion. Il y finit crucifié dans les cintres, accablé par les sarcasmes de sa mère et l’incompréhension de tous, sourds aux alarmes écologiques et anthropologiques qu’interprète la malheureuse Nina. Deux mouettes au milieu des gerfauts ! Comment ne pas penser aux Antigone du climat et autres adolescents passés à la moulinette du libéralisme ? Comment ne pas reconnaître notre égoïsme en entendant la magnifique Chloé Réjon, terrifiante en quinqua narcissique ? Comment ne pas trembler au spectacle de la jeunesse assassinée ?
La Mouette à l'Odéon - Théâtre de l'Europe : réservez vos places avec L'Officiel des spectacles
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