[critique] Molly ou l’odyssée d’une femme : Celle qui dit oui

Hélène Arié est Molly, la Pénélope de l’Ulysse de Joyce. Sublime comédienne, qui plonge dans le texte et en dompte le courant ; remarquable intelligence de la mise en scène : magnétique !
« Une femme parfaitement saine, complète, amorale, amendable, fertilisable, déloyale, engageante, astucieuse, bornée, prudente, indifférente », dit James Joyce de Molly Bloom. Elle a quelque chose de Nora, l’épouse et l’inspiratrice du romancier ; elle est celle qui connaît mieux son mari que lui-même ; elle est surtout l’essence de la femme, prosaïque et profonde, fragile et puissante, qui ne craint ni de dire la chair, ni d’inspirer l’esprit. Molly devient une évidence quand Hélène Arié se saisit de sa partition, en interprète virtuose qui livre en même temps le sens et la musique des mots. Elle est celle qui dit oui intensément, dans la joie expansive d’être au monde.
L’épure du jeu et du geste
Quasi rien sur scène : une bergère et un pouf, une petite table, les lumières de Jean-Luc Chanonat pour habiller Hélène Arié et guider sa bouleversante traversée de l’univers féminin. La comédienne, dont la force sait jouer de la candeur, raconte, au cœur de la nuit, les amours, les amants, l’enfance de la femme de Leopold Bloom. Molly est triviale et lyrique, sulfureuse comme une sorcière, innocente comme une enfant : Hélène Arié, en comtesse aux pieds nus, offre son élégance aristocratique à cette drôle de Pénélope qui déploie son discours en brodeuse experte. Huit phrases sans ponctuation : la comédienne domine le flot en épousant la vague.
Cantate de l’amour
La mise en scène d’Hélène Arié et Antony Cochin est à l’image de ces deux artistes vibrants que ce projet réunit avec bonheur. Leur travail est délicat, ciselé, précis : rien n’échappe à l’oreille, rien n’échappe à l’entendement. Si le féminisme a parfois des accents de harengère, jamais il ne tombe au ruisseau chez Joyce : il sait être cru sans être vulgaire. Tour de force, là encore, de cette magnifique version du monologue final d’Ulysse : Hélène Arié murmure de cœur à cœur, en femme que toutes voudraient avoir la force d’imiter, en être incandescent dont tous rêveraient d’être aimés, et en comédienne que peu sont capables d’égaler.
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