[critique] Notre vie dans l’art : Les petits riens du grand œuvre

Nouvelle création au Théâtre du Soleil : Ariane Mnouchkine invite Richard Nelson, auteur et metteur en scène américain, pour un hommage au théâtre, à la vie, à la liberté et à l’intelligence du cœur.
Installé sur les bancs d’une sorte de théâtre anatomique, le public est invité à une dissection des affects. Richard Nelson confie à la troupe du Théâtre du Soleil la pièce qu’il a imaginée à partir des anecdotes de la tournée du Théâtre d’Art de Moscou à Chicago, en 1923.
Un dimanche de relâche, Constantin Stanislavski et ses acteurs, dont la célèbre Olga Knipper, veuve de Tchekhov, fête le vingt-cinquième anniversaire de leur compagnie. Autour de la table, ils boivent, mangent et chantent, loin de l’ombre menaçante de Staline. Plane la question lancinante : faut-il rentrer à Moscou ?
Chicago ou Moscou ?
Moscou est le rêve des trois sœurs enfermées par Tchekhov dans l’ennui provincial. La pièce est un fleuron du répertoire du Théâtre d’Art, venu la jouer en Amérique. En URSS, ce théâtre bourgeois des atermoiements et des afféteries n’a pas bonne presse. Intellectuels indolents et théâtreux insolents sont surveillés et menacés. On pense à cette « autre Russie », qu’évoque André Markowicz à La Scala jusqu’en avril : « non pas la Russie fasciste, nationaliste, monstrueuse que veulent bâtir les assassins mafieux au pouvoir à Moscou », contre laquelle se mobilise le Théâtre du Soleil en soutenant la résistance ukrainienne, mais celle des poètes qui portent la voix de l’humanité.
Hier et aujourd’hui
On assiste au ronron des conversations, émaillé d’éclats (embrassades, rires complices, tendres moqueries, bourrades amicales), un peu comme un vieil ami s’assoupissant au fond d’un fauteuil. Pour jouer juste et vrai, Stanislavski recommandait à ses acteurs d’observer leurs états intérieurs et de les reproduire sur scène. La pièce de Richard Nelson devient alors une tourbillonnante mise en abyme. On ne sait plus qui est qui : des comédiens imprégnés des questions que notre actualité saumâtre pose à la liberté, ceux qu’ils interprètent ou les personnages qui les nourrissent ? L’art et la vie sont un rempart dérisoire mais grandiose à la mort imbécile et brutale.
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