[critique] The Exterminating Angel : L'enfer sur scène à Bastille

© Agathe Poupeney / OnP

Il y a 62 ans sortait le film le plus magistral de Luis Buñuel, L’Ange exterminateur. Un huis-clos subversif de bourgeois enfermés par une force invisible. Le chef-d’œuvre en devient un autre, porté depuis 2016 par le compositeur Thomas Adès. Cette opérette en trois actes déploie son envoutement noir à l’Opéra Bastille jusqu’au 23 mars.

Du surréalisme au royaume d’Adès

Un aristocrate mexicain, à la sortie de l’opéra, invite ses convives à un somptueux dîner. Se produit alors un étrange phénomène : malgré leurs espoirs et tentatives désespérées, plus personne ne va pouvoir quitter la maison. Un huis-clos tant physique que psychologique pour une assemblée de bourgeois retenus par une force invisible. La pénurie d’eau, de nourriture et la promiscuité auront tôt fait de révéler la nature profonde de chacun.

Une malédiction pour faire tomber les masques, une satire du monde bourgeois, c’est l’enfer que propose le surréaliste Luis Buñuel, dans son chef-d’œuvre de 1962, L’Ange exterminateur. L'adaptation de cette œuvre cinématographique en opéra, réalisée par le compositeur Thomas Adès et le librettiste Tom Cairns en 2016, a permis de transposer la puissance évocatrice du film sur la scène lyrique. Fasciné par la liberté de Buñuel à son paroxysme dans le film, Thomas Adès a souhaité lui donner une identité sonore, l’extraire de l’écran pour la traduire en « opérette très sombre », en « horreurette », dit-il, à propos de ces « animaux sous le vernis » que sont les hommes.

L’enfer du décor

Quel écrin donner à cette danse de mort, à ces corps portés par des voix somptueuses, sans failles, et les harmonies d’Adès ? Pour cette reprise parisienne, l’Espagnol Calixto Bieito, dont on peut avoir vu la Carmen à Bastille en 2022, plonge la fable surréaliste dans l’immensité blanche d’un salon ovale tournant. Une antichambre neutre de toute fioriture, sinon la table du dîner, prétexte à cette réunion, créée par la décoratrice Anna-Sofia Kirsch. La transposition du film en noir et blanc à la scène s’opère via un choix de costumes des années 1960. La chatoyance des robes de bal des dames va, comme les smokings des hommes, comme les mœurs et la distinction de cette classe sociale, finir en lambeaux pour laisser les personnages dans leur réalité nue, grotesque. Une composition chorégraphiée avec la lumière, travaillée avec l’humour même, pour rendre le cynisme dans le grave tel que dans l’œuvre filmique originale.

« L’Ange » de Buñuel, filtré par la personnalité et le talent de Cairns et du bien-nommé Adès trouve ici à la fois un écho puissant mais aussi une singularité propre. Quand l’enfer confine au sublime, on applaudit.

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