Le Suicidé, vaudeville soviétique [critique] : Dissection de la terreur

Jean Bellorini met en scène Le Suicidé, vaudeville soviétique, écrit en 1928 par Nicolaï Erdman et interdit en URSS jusqu’en 1982 pour déviance réactionnaire. Un immense éclat de rire, lucide et cruel !
« Tuez-vous tant que vous voulez. Mais tuez-vous, je vous prie, avec une conscience sociale. » On s’en doute un peu, Nicolaï Erdman pouvait difficilement espérer faire rigoler Staline en raillant ainsi la société soviétique, où seuls ceux qui avaient peur et se tenaient cois restaient vivants. Après avoir mis en scène cette comédie décapante au Berliner Ensemble en 2016, Jean Bellorini la redécouvre avec sa troupe française et choisit la traduction d’André Markowicz, dont on sait l’esprit de finesse, l’art de rire et le verbe alerte et brillant. Cette comédie, dit André Markowicz, est « le portrait d’une mécanique à déshumaniser (…) écrite à mourir de rire ».
Plus grand mort que vivant
On est à la fin des années 20, dans un immeuble communautaire soviétique. En pleine nuit, Sémione Sémionovitch Podsékalnikov, misérable chômeur, tente de soulager sa faim à grand renfort de saucisson de foie. Mais sa crise de boulimie réveille sa femme, qui ameute le voisinage après que son mari a disparu en menaçant de se tuer. Tous se pressent pour s’approprier le dernier soupir du condamné, appelé à devenir un « défunt idéologique » alors qu’il découvre, au bord du précipice, que rien ne vaut la vie. Jean Bellorini cite Mandelstam à propos du Suicidé : « c’est une pièce sur les raisons qui nous ont fait rester vivants alors que tout nous poussait au suicide. »
Plus résistant vivant que mort
« A chaque rêve d’une nouvelle création, la nécessité s’impose d’être au monde, dans un élan, un espoir, un rire qui conjure l’ombre recouvrant nos vies. C’est la troupe aussi qui emporte la partie ; elle sait, par sa force démultipliée, par sa pluralité, affronter les doutes et les peurs. », dit Jean Bellorini. Le metteur en scène, qui s’éclate avec ce théâtre de la fission, des réactions en chaîne, des conflagrations et des séismes, trouve en ses habituels compagnons de scène des interprètes à la hauteur de cette dinguerie débridée, désopilante et vertigineuse.
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