Le Verre d'eau de Francis Ponge [critique] : Pétillant et désaltérant !

Cyril Bothorel © Thierry Grapotte

Yann-Joël Collin met en scène Cyril Bothorel dans une explosive et jouissive traversée de la poésie de Francis Ponge. La chair transfigurée du comédien se fait poème. Fascinant !

Qui dit récital poétique dit long ennui d’une soirée balzacienne chez Madame de Bargeton, où la bourgeoisie inculte s’extasie sur les envolées lyriques des gigolos inspirés. Mais la poésie est peut-être moins polie qu’on le pense, plus éruptive et plus tonitruante qu’on le voudrait. Ce n’est pas parce qu’il est question d’un verre d’eau qu’il faut croire que cette eau n’est pas de feu. Loin des pensums à la camomille ou des tasses de thé sur napperons empesés, Cyril Bothorel s’empare des mots de Francis Ponge à la manière dont celui-ci concevait l’écriture : « non comme la transcription, selon un code conventionnel, de quelque idée mais à la vérité comme un orgasme. »

Les mots comme matière

Le comédien surgit du fond de la salle en bateleur goguenard, tout à la joie d’avoir un public. Il s’adresse à lui comme un camelot frénétique ou un anarchiste maniant la poudre. Il dynamite les attentes et foudroie les habitudes, qui s’obstinent à penser que la poésie se susurre. Elle se crie plutôt, pour surmonter la « rage de l’expression » dont parle Ponge, lui qui demeura mutique à l’oral du baccalauréat et à celui de l’Ecole normale supérieure, incapable de dire pour réussir. Prendre le parti des choses, c’est peut-être alors s’emparer à bras-le-corps des mots : voilà exactement ce à quoi s’emploie Cyril Bothorel.

L’espace rendu au verbe

Clown et poète, le comédien joue avec la matière de la salle comme avec celle du verbe. La porte, les planches, les murs et les fauteuils deviennent de vivants compagnons de jeu. Jusqu’à la désopilante dispute entre la vache et l’oiseau, où le sens parvient à se passer des mots pour mieux les retrouver dans le dialogue final avec le verre d’eau, qui se donne et se refuse, comme dans un tango amoureux. La prestation de Cyril Bothorel est jubilatoire. Comme aurait dit Francis Ponge, il « fonde les mots en réalité », avec un humour subtil et une corrosive insolence. Le résultat est ébouriffant, passionnant et fougueusement touchant.

Le Verre d'eau au Théâtre de la Reine Blanche : réservez vos places avec L'Officiel des spectacles

Partager cet article sur :

Nos derniers articles

Éric Bu met en scène la comédie romantique de Gilles Dyrek que Mélanie Page, Grégori Baquet, Stéphane Roux, Marine Dusehu et Etienne Launay interprètent au Théâtre Actuel La Bruyère.

Première mondiale, le 10 avril 2025, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt : Angelin Preljocaj reprend la mémorable chorégraphie d’Helikopter avant de présenter sa dernière création surprise.

Allègre et pétulante version du Voyage de monsieur Perrichon aux Artistic Athévains : Frédérique Lazarini traque la gravité sous le rire en conservant l’élégance des vrais moralistes : faire léger.

Publié le 25 mars 2025 [Théâtres]

Fondatrice du Théâtre La Flèche, Flavie Fontaine dirige avec passion cette mine à pépites, tremplin pour les compagnies émergentes, encourageant un théâtre poignant, authentique et juste. Entretien.

La newsletter

Chaque mercredi, le meilleur des sorties culturelles à Paris avec L'Officiel des spectacles !