Les Parents terribles [critique] : matrices de la violence
Christophe Perton signe une excellente mise en scène, servie par trois comédiens brillants dans le rôle des adultes monstrueux. Actualité sidérante de Jean Cocteau et déflagration théâtrale.
En notre époque où la niaiserie hypersensible côtoie l’agressivité la plus débridée, où la dictature des affects répond à la brutalité des coups, la pièce de Cocteau résonne avec éclat. Un lit, grand ouvert et froissé, occupe le centre de la scène. Yvonne y gît, entre cigarettes et insuline, taraudée par la pulsion de mort. Elle est génialement campée par Muriel Mayette-Holtz, stupéfiante en louve carnassière et incestueuse. Autour du lit, gravitent les satellites de ce soleil noir : Léo, la sœur oblate et retorse (extraordinaire Maria de Medeiros) et Georges, le mari castré au logis et revigoré par l’adultère (Charles Berling, excellent).
Entre Médée et Saturne
Pas de parents sans l’enfant qui justifie leur emploi : il y a donc Michel (Emile Berling), trop aimé, c’est-à-dire pas assez. Dans les bras de Madeleine (Lola Créton), qui congédie un vieil amant parce que la jeunesse doit être à la jeunesse et ne pas demeurer sous la coupe des cœurs en hiver, Michel est heureux. Mais la génération crépusculaire veille, comme une hydre tricéphale, pour empêcher cet amour. On pourrait en rire, tant la verve de Cocteau est savoureuse et l’art des comédiens qui jouent les parents efficace, mais on frémit, on blêmit et on tremble, parce que la situation est tragique et qu’on y reconnaît les travers égoïstes de notre époque qui, comme Saturne, continue à dévorer ses enfants, leur avenir et leur biotope.
Éternelles alarmes
Si le zodiaque projeté en fond de scène est un hommage élégant à Cocteau, il signe aussi la filiation tragique de cette histoire, qui n’a rien à envier à celle des Labdacides. On a beau être chez les bourgeois et virevolter dans la soie, on n’est pas au boulevard, où le drame est passager. On est dans la confusion des affects et la violation des ordres, ce que Pascal appelait tyrannie. Cocteau écrit Les Parents terribles en 1938. Avis à tous ceux qui étouffent leurs enfants : le détour par le Théâtre Hébertot vaut peut-être comme viatique politique autant que comme thérapie familiale !
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