Les Poupées persanes d’Aïda Asgharzadeh [critique] : entre shah et chiens
Forte de ses deux triomphes à Avignon en 2021 et 2022, la pièce d’Aïda Asgharzadeh, mise en scène par Régis Vallée, part à la conquête du public parisien : une merveille à découvrir d’urgence !
« Tout ce que je dirai, tous l'ont déjà conté » dit Ferdowsi dans le Shâhnâmeh (Le Livre des rois), qui recueille les contes de la mythologie iranienne pour retracer l’histoire de la Perse. Aïda Asgharzadeh fait de même. Elle narre la colère, la lutte, la défaite, l’exil, les amours perdues et retrouvées et l’universel d’une souffrance partout reconduite et jamais tarie, mais elle le dit avec une originalité dramaturgique et une émotion remarquables. Bouleversant spectacle que celui de la vie de Bijan, Manijeh, Niloofar et Manoucher, quatuor d’Iraniens dont la vie bascule dans les années 70, entre la chute du Shah et l’arrivée des ayatollahs !
Douleurs en abyme
La pièce, habilement construite, fait dialoguer les époques et les situations. Entre le passage à l’an 2000 dans un chalet d’Avoriaz, où une curieuse famille recomposée découvre la neige, la fondue et les joies du dancefloor, et les aventures de quatre jeunes étudiants qui inventent l’amour entre mathématiques, musique et poésie, rien de commun en apparence. Mais les histoires s’emboîtent selon le principe des matriochkas. Chacune s’ouvre pour en découvrir une nouvelle, jusqu’à la tragédie la plus cruelle, enfermée dans le cœur et le ventre de la mère, dont l’amour et la mémoire servent de lien entre les étapes de l’histoire.
Amours en spirale
La pièce d’Aïda Asgharzadeh évite les écueils du pathos et offre, par la comédie, des respirations indispensables au drame : l’équilibre est remarquable. Les comédiens réussissent, avec un brio sidérant, à passer du rire aux larmes : chacun change en un clin d’œil de personnage, de costume, d’époque et de ton. La mise en scène soutient ces changements en puisant à toutes les sources possibles, de l’invention ludique et fantaisiste au réalisme le plus angoissant. Entre conte et témoignage, rêve et pamphlet politique, histoire d’amour et récit des guerres amères perdues par les naïfs et gagnées par les méchants, la troupe des Poupées persanes signe un spectacle réussi et particulièrement saisissant.
Partager cet article sur :
Nos derniers articles
Maxence Gaillard s’installe brillamment au Lucernaire avec la pièce imaginée par Stéphane Landowski autour de la guerre des courants, qui marqua les débuts de la maîtrise de l’électricité.
Après le verger sous les étoiles de Fontaine-Guérin, où a été créée la trilogie à l’été 2024, le NTP propose une divine comédie avec Balzac en nocher, à l’intérieur du théâtre de La Tempête.
Victor Rossi reprend avec Matthew Luret la pièce qu’il a écrite et créée avec Antoine Demor. Un petit bijou théâtral, fin, vif et incisif, d’une grande intelligence et d’une implacable lucidité. Glaçant !
Au Théâtre Saint-Georges, Clément Viktorovitch, seul en scène, libère du temps de cerveau disponible en déjouant la confusion entre les vessies et les lanternes. Rallumons les lumières !