Une chambre en Inde

Ce n’est pas nouveau, face à l’obscurantisme, le théâtre a toujours opposé la résistance et la lumière. Hanté par les attentats du 13 novembre 2015, le Théâtre du Soleil s’est envolé pour Pondichéry, en Inde, et y a enfanté une nouvelle épopée où le rire tord le cou aux larmes.

Avant la tragédie du 13 novembre, Ariane Mnouchkine avait déjà convenu d’emmener toute sa troupe, comédiens et techniciens, pour une résidence de création dans ce pays fascinant et pétri de contradictions qu’est l’Inde. Après, elle a douté, longtemps, mais ne s’est finalement pas résignée à rester en France. Dans de telles circonstances, que pouvait encore apporter le théâtre ? Des enfants d’Alep meurtris aux kamikazes mineurs, des jeunes filles mariées de force ou maintenues dans l’ignorance en passant par le temps devenu fou et les nappes phréatiques polluées, les bouleversements sont si immenses que nous sommes tous démunis. « D’autres barbares viendront », écrivait Mahmoud Darwich en 1986… Mais doit-on pour autant baisser les bras ? La réponse est évidemment non, la culture est un rempart, les théâtres ne doivent pas fermer leurs portes. Une chambre en Inde nous plonge pendant quatre heures au fil d’un rêve éveillé dans ces questionnements et brandit l’arme du rire.

Shakespeare, Tchekhov, le Theru Koothu et les autres…

Dans une immense chambre de style colonial, où les ventilos brassent l’air et la clameur de la rue traverse les persiennes, Cordélia (clownesque Hélène Cinque) est désemparée. Monsieur Lear, le chef de troupe japonais « a pété un plomb » au lendemain du 13 novembre. Simple assistante, loin d’être une visionnaire, elle doit rapidement présenter un projet théâtral pour sa troupe invitée par l’Alliance française. Dans son sommeil agité, Cordélia finit par être assaillie de visions et se sent démunie face à la multitude de sujets possibles. Dans la moiteur de ses nuits vagabondes, Shakespeare lui confie qu’il aurait dû se moquer des puissants et faire de Macbeth ou de Richard III des comédies, quand Tchekhov pour sa part se plaint que l’on considère ses comédies comme des tragédies. Cordélia va alors se mettre bille en tête : il faut que sa pièce soit drôle.

Entre saynètes amusantes (des terroristes qui négocient le nombre de vierges) ou glaçantes (la préparation d’un attentat par un enfant), un art théâtral ancestral réservé aux basses castes indiennes s’invite alors dans les songes de la metteuse en scène par intérim. La flamboyance du Theru Koothu relate dans des costumes chatoyants, au son des tambourins et des grelots, les guerres fratricides du Mahabharata. Ces enchaînements d’une fluidité quasi surnaturelle, mis en musique par le complice Jean-Jacques Lemêtre et interprétés par une trentaine de comédiens, s’achèvent par le plus beau des messages d’espoir. Courrez-y pour l’entendre.

Emmanuelle Dreyfus

Ariane Mnouchkine est à l'affiche de Ici sont les dragons (mise en scène - Théâtre du Soleil) en 2024, L'Île d'or (mise en scène - Théâtre du Soleil) en 2022 ou encore As Comadres (Théâtre du Soleil) en 2021.
Au cinéma, Ariane Mnouchkine a réalisé Le Dernier caravansérail en 2006, Molière, ou la vie d'un honnête homme en 1978 ou encore 1789 en 1974.